Est-il possible pour mes parents de me déshériter ?
Avec les évolutions sociétales, les liens familiaux distendus ou des relations conflictuelles, certains parents ne souhaitent plus que leur patrimoine revienne à leurs enfants. Ils peuvent alors envisager de le transmettre à d’autres proches ou à des associations. Mais en droit français, que peut-on réellement faire ? Est-il légal d’exclure ses enfants de son héritage ? Et existe-t-il des stratégies pour favoriser d’autres personnes ?
La réserve héréditaire : un principe protecteur
En France, le droit successoral impose le respect d’une part minimale de l’héritage au bénéfice des héritiers dits "réservataires". Cette règle, prévue par les articles 912 à 917 du Code civil, interdit de les priver totalement de leur part.
Qui bénéficie de cette protection ?
Ce sont essentiellement les descendants du défunt (enfants ou petits-enfants). En l’absence d’enfants, le conjoint survivant devient alors héritier réservataire.
Quelle est la part réservée ?
Elle dépend du nombre d’enfants :
Sans enfant : le conjoint survivant a droit à 25 % des biens ;
Un enfant : il reçoit au moins 50 % de la succession ;
Deux enfants : chacun reçoit 33 % ;
Trois enfants ou plus : chacun hérite d’au moins 25 %.
Que se passe-t-il en cas de non-respect ?
Si cette réserve est ignorée, les enfants lésés peuvent contester les libéralités excessives faites à d'autres personnes. Cette "action en réduction" leur permet de récupérer la part à laquelle ils ont droit.
Contourner la réserve héréditaire : quelles possibilités légales ?
1. L’assurance vie
Souvent qualifiée de « hors succession », l’assurance vie permet de désigner librement les bénéficiaires, et ce en dehors des règles successorales classiques. Elle peut donc être utilisée pour transmettre des sommes importantes à des tiers, sans que les enfants ne puissent s’y opposer... sauf dans certains cas :
Primes jugées exagérées par rapport au patrimoine,
Donation déguisée
Altération du discernement du souscripteur.
Dans les faits, peu de contentieux aboutissent à une remise en cause du contrat d’assurance vie, tant que les montants restent raisonnables.
2. Les présents d’usage
Ces cadeaux offerts à l’occasion d’événements familiaux (mariage, anniversaire, Noël...) échappent au régime de la donation s’ils restent proportionnés au patrimoine du donateur. Ils ne sont donc pas pris en compte dans le calcul de la réserve.
Toutefois, si un héritier estime qu’un "présent" cache en réalité une donation, il peut en demander la requalification. Il devra prouver que l’un des critères du présent d’usage (valeur modeste, occasion, remise immédiate...) n’est pas respecté.
3. Le testament : transmettre la quotité disponible
La part non protégée par la réserve s’appelle la quotité disponible. Elle peut être librement transmise à la personne de son choix, via un testament. Par exemple, si le défunt a deux enfants, il peut attribuer un tiers de ses biens à un tiers ou à un enfant spécifique, en plus de la part minimale prévue par la loi.
Ce type de legs est difficilement contestable tant qu’il respecte les règles de la réserve.
4. La vente en viager
Vendre un bien en viager permet de sortir un actif du patrimoine tout en en conservant l’usage jusqu’au décès. Les enfants ne peuvent s’y opposer, sauf en cas d’indivision ou démembrement.
Le bien vendu ne faisant plus partie du patrimoine à la mort du vendeur, il échappe aux règles de la réserve héréditaire.
5. L’expatriation : changer de loi applicable
Depuis 2015, un règlement européen permet de choisir la loi successorale applicable en fonction de sa résidence habituelle ou de sa nationalité. Dans les pays où la réserve héréditaire n’existe pas (ex. : Royaume-Uni, États-Unis), il est donc possible de transmettre librement ses biens.
Mais attention : depuis 2021, une loi française prévoit qu’un enfant peut récupérer une part minimale sur les biens situés en France, même si la succession est régie par une loi étrangère ne reconnaissant pas la réserve. Cette disposition s’applique si le défunt ou ses enfants résidaient dans l’UE. Pour écarter totalement la réserve, il faut donc résider dans un pays sans réserve et ne posséder aucun bien en France.
L’indignité successorale : exclure un héritier pour faute grave
Quelles sont les fautes entraînant l’exclusion ?
Un enfant peut être exclu de l’héritage s’il est reconnu indigne, notamment en cas de
Violence ayant entraîné la mort du parent,
Agression sexuelle ou actes de barbarie,
Faux témoignage contre le défunt,
Non-assistance volontaire à personne en danger.
Ces cas sont strictement encadrés par les articles 726 et 727 du Code civil. La demande doit être faite devant le juge dans un délai de 6 mois.
Conséquences d’une indignité
L’héritier indigne perd tous ses droits dans la succession, sauf si le défunt l’a explicitement réintégré via un testament. Ses enfants (les petits-enfants du défunt) peuvent néanmoins hériter à sa place. S’ils sont mineurs, leur parent indigne ne pourra pas gérer leur part.
En résumé
En France, il est impossible de déshériter complètement ses enfants, sauf dans des cas très spécifiques (indignité). Toutefois, plusieurs mécanismes juridiques permettent de réduire leur part ou de favoriser d'autres personnes : assurance vie, présents d’usage, legs de la quotité disponible, vente en viager ou expatriation. Chacune de ces solutions comporte des limites et des conditions spécifiques. Pour mettre en place une stratégie efficace et conforme à la loi, l’accompagnement d’un conseiller patrimonial ou d’un avocat spécialisé est fortement recommandé.